Intervention de Jean-Louis CHAUZY
Président du Conseil Économique, Social et Environnemental Régional

Lors du Colloque Prospective "Quels futurs pour 2030 ?"
Toulouse, le lundi 31 janvier 2011

Monsieur le Représentant du Préfet de région,
Monsieur le Président de la Région Midi-Pyrénées,
Madame, Monsieur les Vice-Présidents de Région,
Monsieur le Président dela Section Prospective,
Madame, Monsieur le Conseiller,
Madame, Monsieur,









 

« Midi-Pyrénées, quels futurs pour 2030 ? », ce Colloque de prospective co-organisé avec le Conseil Régional a pour objectif de nous aider à travailler ensemble à l’avenir de notre région.
Si la prospective n’a pas pour objet de pré-dire l’avenir – de nous le dévoiler comme s’il s’agissait d’une chose déjà faite – elle peut nous aider à le construire. Elle nous invite donc à le considérer comme quelque chose à faire, à bâtir, plutôt que comme quelque chose qui serait déjà décidé.

Pourquoi la prospective ?

Sa fonction première est d'être un appui à la décision stratégique. Elle acquiert ainsi une double fonction de réduction des incertitudes, éventuellement de certaines angoisses, face à l'avenir, et de légitimation des actions.
Aujourd’hui, la décision politique est souvent celle du temps court ; les programmes élaborés sont souvent liés à la durée des mandats. La prospective doit aider à dépasser cet état afin d’établir des politiques publiques avec des effets à court, moyen et long termes.
Le Conseil Economique, Social et Environnemental Régional, en tant qu’Assemblée consultative aidant à la l’élaboration des politiques publiques, a pris rapidement conscience de l’importance de l’analyse prospective. Ainsi, dès que la loi de février 1992, portant sur l’administration territoriale de la République, lui en a donné la possibilité, elle a créé en 1994 après la parution du décret la Section Prospective, qui a depuis mené de nombreux travaux.

Une histoire en Midi-Pyrénées

En 1990, à l’initiative de l’Etat, le Préfet de région sollicitait les universitaires toulousains pour réfléchir aux évolutions possibles de la région Midi-Pyrénées dans l’espace européen, au moment où l’on s’interrogeait sur le positionnement de la région par rapport à l’Arc Atlantique et à l’Arc Méditerranéen. Il en a résulté une publication de référence « les Chemins de 2010 » proposant cinq scénarios possibles pour les futurs des territoires de Midi-Pyrénées à l’horizon 2010.

A la demande de notre assemblée, les préoccupations de la section prospective, qui fournit un travail remarquable, se sont situées dans le prolongement de celles de l'Etat et ont abouti à l'organisation des premières Rencontres du Futur en 2000 sur la base d'une démarche de prospective sociétale, inédite en France, et qui mettait l'accent sur les relations entre individus et institutions. Le 7 juillet 2007, nous organisions les deuxièmes Rencontres du Futur « Rats des villes, Rats des champs » sur une analyse de prospective concernant les dynamiques urbaines en Midi-Pyrénées en regard des caractéristiques des territoires ruraux, rassemblant 350 personnes à Gimont, avec l’appui technique des travaux de la DREAL que je salue.

 

Prenant le relais des travaux engagés par l’Etat, le travail réalisé par la Section présenté aujourd’hui, « Midi-Pyrénées, quels futurs pour 2030 ?», doit permettre d’esquisser de nouveaux scénarios pour les vingt prochaines années et intègre de ce fait les différents schémas en préparation par la Région.
Le document a fait appel aux réflexions de prospective réalisées à l'occasion du Schéma Régional d'Aménagement et de Développement Durable du Territoire en collaboration avec la Direction des Etudes de la Prospective et de l’Evaluation (DEPE) du Conseil Régional.

L’anticipation est un préalable à l’action, et ce document doit permettre de prévoir les évolutions plutôt que de les subir. Refuser de penser l’avenir, c’est se condamner à être spectateur d’une évolution sur laquelle l’action publique n’aurait aucune prise.

Les Chemins de 2010 : de l’isolement à l’ouverture

Comme cela a été envisagé en 1990-1992, Midi-Pyrénées, en 2011, possède une aire métropole attractive et dynamique mais qui peine à réaliser les aménagements nécessaires à la progression  d’une métropole qui se veut européenne.
Vingt ans après, les enjeux sont identiques , voire aggravés, car les écarts se creusent.

La région a connu des dynamiques majeures : un réseau autoroutier amélioré, l’élaboration d’un plan rail, le lancement ou le début des chantiers LGV, une Traversée Centrale des Pyrénées inscrite dans l’avant-projet de Schéma National des Infrastructures de Transport, des pôles de compétitivité performants, une gestion intégrée des atouts universitaires et scientifiques dans le cadre du PRES Université de Toulouse, un secteur aéronautique et spatial à vocation mondiale – qui aurait envisagé il y a 20 ans qu’Aérospatiale devenue Airbus serait n°1 dans le monde - et une agriculture qui sont des secteurs clés de l’économie régionale, des domaines porteurs tels que ceux de la santé, des médicaments, des biotechnologies...à condition de ne pas diaboliser la recherche, le progrès, l’innovation. Le principe de précaution systématisé peut être un handicap à la décision publique qui risque de tuer la recherche et l’industrie. Il n’y a pas de développement industriel sans recherche et innovation ; il n’y a pas d’agriculture sans eau.

Mais il reste beaucoup à faire

Si Midi-Pyrénées a longtemps cumulé des handicaps majeurs en matière de transport, il reste maintenant à faire aboutir les dynamiques en place. Les réalisations du TGV, de la TCP, l'aménagement de la RN 88, la mise à 2X2 voies de Toulouse-Auch, la construction de l'autoroute Toulouse-Castres programmée, la rénovation de la ligne Paris-Toulouse par Limoges, encore à l'état de projets, devraient se concrétiser pour permettre un développement plus harmonieux du territoire midi-pyrénéen, permettre son désenclavement, favoriser les relations économiques et sociales avec la capitale et la péninsule ibérique. 
Si l'on s'arrête sur le projet de TCP en faveur de laquelle nous organisons avec la Région et des collectivités espagnoles un colloque à Paris le 2 février 2011, on s'aperçoit que sa réalisation entraînerait le désengorgement des extrémités de la chaîne pyrénéenne des flots de camions, en mettant en place le ferroutage entre la France et l'Espagne par une voie centrale sous la montagne. Aujourd'hui, 4,8 millions de poids lourds par an traversent les Pyrénées. Ce projet chiffré entre 5 et 7 milliards d'euros offrirait une opportunité unique à Toulouse et sa région de devenir une base arrière logistique de toute l'Europe du Sud, c’est le seul grand projet de l’Europe du Sud et le trait d’union avec la Méditerranée.

Midi-Pyrénées ne doit plus être le cul-de-sac de l'Europe.

Par ailleurs, le secteur industriel de Midi-Pyrénées comporte des atouts considérables, à l'instar de l'aéronautique et du spatial. Mais la crise économique et financière n'a pas épargné notre région. Certains domaines de l'industrie sont dans la tourmente, en témoigne le nombre colossal de pertes d'emplois (22 000).
Pour enrayer le chômage, il faut une nouvelle croissance, car sans croissance, il n’ y a pas d’emplois ; la diversification des activités productives s’impose.

 

Ne pas avoir peur de la mondialisation

Aussi, face aux défis de la mondialisation, de nombreux européens, dont les Midi-Pyrénéens, se sentent moins en sécurité qu’auparavant du point de vue économique et culturel et perdent confiance dans les institutions publiques.

Comme le rappelle Nicole GNESOTTO, dans son livre « Le monde en 2025 », la croissance économique est indissociable d’autres variables fondamentales telles que l’environnement politique, la sécurité, les contraintes démographiques, les progrès technologiques et le coût des énergies.

Certaines tendances vont se poursuivre :

  • la mondialisation économique va s’accentuer ;
  • une plus grande ouverture et l’arrivée de nouvelles puissances commerciales vont accroître la concurrence et contraindre les systèmes socio-économiques à s’adapter ;
  • Les économies émergentes d’Asie devraient afficher les taux de croissance les plus élevés.

Si notre région a de bonnes performances économiques en France, en dépit des aléas conjoncturels, certains facteurs doivent retenir notre attention pour les décisions politiques à venir ; car, ils sont intrinsèquement liés à l'avenir économique de la région.

Toulouse et les autres

Le facteur démographique est déterminant. Selon une étude récente de l'INSEE, notre région devrait compter 3, 596 millions d'habitants en 2040. Nous étions 2, 811 millions en 2010. C'est une augmentation de 27, 9%, soit environ 800 000 habitants de plus en 2040 et une région où la croissance de population serait forte.

La population de l'hexagone devrait continuer à se concentrer vers le sud et l'ouest. Et contrairement à ce qui s'est passé en 1990 et 2007, ce sont les migrations entre régions qui deviendraient le principal moteur de la croissance démographique, davantage que le solde naturel.

Or, comme pour l'ensemble du monde développé, c'est le vieillissement qui sera la principale caractéristique démographique. La dépendance économique des personnes âgées connaîtra une croissance exponentielle. Ce phénomène démultipliera les budgets sociaux et médicaux et pèsera lourdement sur les finances publiques. Cette question est d’ailleurs l'un des enjeux majeurs à venir.

Toutefois, en Midi-Pyrénées, ce vieillissement devrait être contenu, car les départements dotés de métropoles régionales abritent des populations jeunes, ce qui est le cas de la Haute-Garonne, grâce à l'importance de l'agglomération toulousaine et à la forte attractivité qu'elle exerce sur les départements voisins. 80% des jeunes quittent les villes moyennes de Midi-Pyrénées pour se former à Toulouse.
En principe, quand une région connaît une forte croissance de population, comme ce serait le cas de Midi-Pyrénées, la population des moins de 20 ans augmente davantage ( + 13%).

Les départements peu urbanisés de la région comme le Lot, l'Aveyron, les Hautes-Pyrénées, qui font déjà partie des plus âgés, figurent parmi ceux qui vieilliront le plus. 

 

Ces réalités sociales et socio-économiques, les projections démographiques, les tendances mises en évidence par les analyses prospectivistes pour l’Europe et le monde nous obligent à réfléchir à l’adaptation de nos politiques publiques, aux politiques de solidarités qu’il faudra mettre en place, parce qu’il y a 100 000 personnes privées d’emploi et des milliers qui ne mangent pas à leur fin en 2011. Combien en 2030 ?

Les projections démographiques doivent nous faire réfléchir aux besoins et attentes sociales qui vont en résulter. Les demandes des Midi-Pyrénéens vont s'articuler autour des secteurs de l’emploi, de la formation, de l’enseignement supérieur, du logement, des transports, de l’accès aux soins…

Ainsi, les territoires ruraux qui sont souvent enclavés et sont confrontés à une dévitalisation profonde de leur offre de services concernant les commerces de proximité, mais aussi les services publics à la suite notamment de la Révision Générale des Politiques Publiques, nécessiteront un aménagement adéquat, indispensable lorsque l’on sait déjà que certains territoires ruraux auront une démographie vieillissante. 

Il faudra développer l’offre de logements - car les besoins en foncier et logements sont croissants - d’un point de vue qualitatif et quantitatif pour intégrer le phénomène de vieillissement, la réduction de la taille des ménages. Il faudra également développer le parc de logements HLM qui demeure insuffisant.

Rééquilibrer le développement régional

L’évolution de l'enseignement supérieur et de la recherche devra se faire par une harmonisation de l'offre équilibrée des territoires, - car la prépondérance va à l'aire métropolitaine, les jeunes quittent souvent les villes moyennes pour aller se former à Toulouse - ceci pour permettre l'attractivité des pôles de formation hors métropole. Pour réussir cette démarche, il faut penser aux problèmes d'accueil, aux faiblesses de l'offre de logements, de services, de transports...En effet, si Midi-Pyrénées possède un fort potentiel dans le domaine de l'enseignement supérieur et de la recherche avec une présence d'universités reconnues au niveau national et un grand nombre d'étudiants, comme d'autres régions françaises, les universités perdent toutefois des étudiants depuis quelques années.

La  recherche de proximité du lieu d'habitation avec l'emploi, les services et les axes de communication routiers et ferrés les mieux connectés à l'aire urbaine, le développement des structures d'accueil, de services, de qualification professionnelle seront indispensables.

Quant à l’accès aux soins, il devra l’être pour tous et sur tous les territoires de la région, zones rurales et villes moyennes pour éviter la désertification de certains espaces, avec une pénurie dramatique de médecins, de chirurgiens, de spécialistes. Si les médecins étrangers quittaient leurs postes pour revenir chez eux, nos hôpitaux fermeraient.

Préparer l’avenir

Le travail que vont nous présenter Jean-Claude FLAMANT et Jean-Claude LUGAN fera état des « tendanciels » et des « bifurcations » pour les futurs de Midi-Pyrénées en 2030, et dans une moindre mesure de France, d’Europe et du Monde, et appellera à vos remarques. En effet, la prospective est une démarche qui pour être efficace, doit être itérative et se fonder sur des successions d'ajustements et de corrections dans le temps, notamment parce que la prise en compte de la prospective par les décideurs et différents acteurs de la société modifie elle-même sans cesse le futur.
L’exercice nous permettra de comprendre les tendances lourdes, les signaux faibles  et les évolutions de la société, les effets des politiques publiques pour développer harmonieusement le territoire régional, réduire les fractures territoriales et sociales.

 

L'analyse prospective est à valoriser. Ainsi, il est aujourd'hui important que nombre d'organismes, d'institutions publiques en région produisent des réflexions de prospective, qui par les scénarios présentés, pourront influer de manière déterminante sur les décisions stratégiques à prendre.

Je terminerai en remerciant Monsieur le Président de la Région Midi-Pyrénées et ses services qui ont permis la réalisation de cet événement, Claude DUPUY, président de la section Prospective ainsi que MM. FLAMANT et LUGAN, la section dans son ensemble et l’équipe administrative du CESER qui ont activement contribué à la préparation et à l’organisation du colloque.

Je remercie également Monsieur le Préfet de Région et l’équipe de la DREAL qui ont réhabilité la prospective territoriale et qui nous ont aidé dans la préparation de nos travaux, notamment à l’occasion de la conférence organisée à Gimont ou dans le cadre du CRIES. Monsieur le Représentant du Préfet, malgré la Révision Générale des Politiques Publiques, nous avons encore besoin d’un Etat stratège.

Merci à Fabienne GOUX BAUDIMENT, Jacques LESOURNE, Guy LOINGER pour leur présence et leurs contributions critiques.

Des raisons d’espérer

Les Français sont pessimistes, ont peur de l’avenir, ne croient plus dans la parole publique, mais notre pays a aussi beaucoup d’atouts, il faut lui donner les raisons d’espérer, de vivre ensemble.

Face à la montée du populisme, du nationalisme, de la démagogie qui poussent les opinions publiques au repli identitaire, voire à la xénophobie, il faut se souvenir de cette très belle phrase du sociologue hongrois Istvan Bibo, qui fut ministre dans l’éphémère gouvernement d’Imre Nagy dans la Hongrie de 1956 : « Être démocrate, c’est être délivré de la peur, c’est ne pas craindre ceux qui parlent une langue différente ou appartiennent à une race différente ».

Que ce colloque contribue à nous délivrer de la peur de l’avenir  et affirme la solidarité nécessaire aux peuples de l’autre rive de la Méditerranée, dont la jeunesse veut d’autres perspectives que l’intégrisme religieux, l’intégrisme militaire ou l’intégrisme monarchique et que l’Europe doit aider, pour construire par la coopération la démocratie et une économie pour sortir de la misère et du chômage de masse.

--------------------------------------------------------------------------------